20ans du 8ème Jour : Discours de la Présidente Mme Clémentine Buggenhout

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20 bougies pour notre association !

Il y a vingt ans, naquit une association qui s’est donné comme objectif, d’offrir à la personne porteuse d’un handicap mental léger un statut de personne à part entière dans notre société : celui de vivre en autonomie et de jouir des droits reconnus à tout citoyen.

L’aventure était risquée et le chemin périlleux car inconnu.

Il en fallait plus pour décourager les parents de Pascal Duquenne et quelques autres qui, à l’époque, se sont jetés dans l’aventure s’inscrivant dans une démarche solidaire et responsable, unissant leurs efforts pour élaborer ce merveilleux projet qui devait amener leurs enfants à construire de façon autonome, leur projet de vie.

Cette force nécessaire, ils l’ont d’abord reçue, tel un passage de témoin par Jaco Van Dormael, qui à travers son film, le Huitième jour a changé le regard de la société sur la personne handicapée, la plaçant sous des projecteurs qui devaient la sortir du ghetto dans lequel elle était confinée jusqu’alors.

Des énergies nouvelles se sont ensuite mobilisées plaçant l’intelligence des sentiments et la solidarité comme préceptes premiers à la construction de ce chantier novateur.

A partir de ce jour, il a fallu agir et construire un pont afin de mettre en présence des communautés d’êtres humains jusque-là séparées.

Voilà le défi qui était lancé, et dans une société qui éprouvait des difficultés à accepter la différence, celui-ci était de taille.

Engagés dans une démarche de responsabilisation et non d’assistance, ces parents écoutèrent leur fille ou leur fils et décidèrent d’agir pour eux dans la réalisation de leur projet de vie … leur grand rêve.

Ces jeunes ne voulaient ni entrer dans un home qui les couperait de leur autonomie, ni dans un appartement supervisé où ils se sentiraient isolés et peu sécurisés

Ils souhaitaient habiter l’un près de l’autre tout en vivant leur autonomie.

N’avaient-ils pas le droit de vivre harmonieusement dans la société, dans un lieu qui les sécuriserait et où ils pourraient vivre comme les autres malgré leur différence, … un lieu qui respecterait leur autonomie et leur droit à l’affectivité et la sexualité ?

L’année 2002 aura été celle du rêve devenant réalité : le démarrage du projet pilote à La Ville de Bruxelles.

La location d’un petit immeuble neuf pour loger quatre résidents et une personne vivant en solidarité active dans le quartier de la Grand-Place, permettait enfin à Pascal et ses copains de s’accomplir pleinement.

Pour mener ce projet, il nous fallait aussi apprendre à appréhender la différence. Les premiers contacts furent parfois déstabilisants car les repères auxquels nous nous référons habituellement n’existaient plus, il fallait en créer d’autres

C’est comme si nous étions partis observer le monde, observer les autres afin d’en ramener le sens des nuances, la diversité des réponses, la relativité des croyances.

Il fallait partir à la découverte de la différence, apprendre à observer tout en regardant haut, par-dessus les petites choses de la vie, comprendre la complexité d’un autre langage et adapter le nôtre …mais surtout parler vrai, sans jambages, parler avec ses sentiments. Il fallait avoir l’œil ouvert, l’écoute exercée et ne pas s’encombrer de ses habitudes, ses schémas de pensée. Il fallait se montrer disponible, ouvert et se garder de juger.

Alors, ayant réuni toutes ces conditions, une communication vraie s’est établie avec nos résidents car nous les avons perçus à travers nos sens éveillés : profondément vrais et débordant d’amour, riches de l’intelligence des sentiments, capables de contrôler les nuances, les formes d’énergie, les formes affectives.

C’était à nous de nous hisser à la hauteur de leur vérité. C’est du choc entre nos deux mondes qu’est née l’harmonie : le nôtre qui est ordre et le leur qui est chaos.

De plus, en travaillant avec des parents de jeunes adultes porteurs de handicap, nous apprenions à connaître des femmes et des hommes qui embrassent la différence de l’autre, qui luttent au quotidien pour leur donner à leur tour l’envie d’embrasser le monde, qui luttent contre le fatalisme, le découragement ou le pessimisme. C’était aussi voir une remise en question de l’équilibre d’une vie : dans la part du travail, de la réalisation personnelle, de la famille, de l’amour et du couple et leur confrontation aux incertitudes de l’avenir.

Mais surtout, c’était comprendre qu’élever un enfant handicapé, c’est également apprendre à s’élever.

Cet apprentissage nous a révélé une nouvelle parcelle de vérité : que ce ne sont pas les performances intellectuelles mais l’ensemble des capacités à être et à vivre avec son handicap, au milieu des autres, qui est le plus déterminant pour l’intégration et l’autonomie de la personne handicapée.

Nos jeunes résidents étaient en harmonie, avec eux-mêmes et avec le monde et nous participions tout naturellement à cet équilibre.

Nous avons ainsi pris le temps nécessaire afin d’évaluer ce projet pilote, d’étudier la faisabilité d’une extension et enfin … de lui construire une suite et de nombreuses extensions.

De fait, en 2005 la Ville de Bruxelles nous a permis de louer une deuxième entité de 10 appartements rue du Midi, à 5 minutes de notre première maison. Huit résidents supplémentaires ont donc pu intégrer le projet.

Nous avons été heureux également qu’en 2006 le Fonds du logement de la Région de Bruxelles Capitale emboîte le pas à la Ville de Bruxelles, et construise pour notre association un bâtiment de sept appartements à proximité des deux premières implantations., rue Jospa

De fait, quand, à l’occasion de la pose de la première pierre de notre désormais troisième maison, nous avons reçu des mains de l’architecte une truelle comme cadeau, nous avons compris qu’il nous passait le témoin symbolique de l’œuvre que nous construisions ensemble.

En 2009, la Régie Foncière de la Ville De Bruxelles, nous remit encore les clés d’un complexe autonome de 12 logements situés dans un parc immobilier rue Léopold à Laeken et … en 2017, le 8eme jour offrait, grâce à elle encore l’autonomie à une dizaine de personne porteuses de handicap dans un très beau complexes d’appartements rue Haute. Un centre de jour pour 10 participants s’y implanta tout naturellement aussi.

Au fil des années, des constats s’imposèrent quant à la problématique du vieillissement des personnes porteuses de handicap et de leur perte d’autonomie. Il nous fallait trouver une alternative nouvelle dans notre projet permettant à la personne atteinte de handicap de vivre autrement son autonomie, dans un endroit plus sécurisé et bénéficiant d’un accompagnement plus important.

Ainsi naquirent, en pleine pandémie, en 2020, à NOH les Jardins du 8eme jour, Nokto et Tago, un centre d’hébergement et un centre de jour bâtis dans les valeurs du 8eme jour et offrant aux habitants, des studios individuels et une autonomie à la mesure de leurs capacités.

Un nouveau centre de jour Tago, trouva également place dans la même implantation permettant à nos différents publics des échanges enrichissants.

Enfin, un nouveau projet pilote AMIKO a vu le jour dernièrement au cœur des Jardins du 8eme jour et offre une multitude d’activités récréatives et culturelles le temps d’une ou plusieurs après-midi par semaine à ceux qui ne souhaitent pas fréquenter un centre de jour mais veulent échapper à la solitude ou créer des échanges.

Nous sommes très fiers que nos associations aient pu s’installer au cœur même de notre ville et l’intégration que nous évoquions précédemment n’a pas été un vain mot puisque nous avons été littéralement adoptés par tous les acteurs de notre environnement.

Les commerçants, les habitants, les restaurateurs, les agents de quartier et tous les acteurs du tissu social font preuve d’une solidarité exemplaire à l’égard des résidents de nos associations.

Nous ne remercierons jamais assez les acteurs institutionnels qui nous ont accompagnés pour avoir cru en notre projet et nous avoir accordé leur confiance,

Parmi ceux-ci épinglons la Région de Bruxelles Capitale (Iriscare aujourd’hui) qui a permis, par son soutien financier de faire nos premiers pas et ensuite nous a subventionnés au fil de l’accroissement de notre projet, mais aussi leur département des Relations internationales qui permet à notre association de faire des échanges d’expertises et de conduire des projets en-dehors de nos frontières, La Ville de Bruxelles qui, grâce à sa Régie foncière nous permet d’occuper quatre maisons et le Fonds du Logement de la Région de Bruxelles Capitale qui nous donne l’opportunité d’occuper deux bâtiments.

Mais ces partenariats seraient vains s’ils n’étaient accompagnés de forces vives sur le terrain : les membres du conseil d’administration : Nicole Delquiny, Nathalie Franco, Jean Milan, Daniel Smet , Robert Van Lancker, Hubert Mutombo, Luc Thielemans, David Weytsman, Bernard Paul, nos deux directrices Sophie Vankriekinge et Valérie Vanhemelen et les équipes professionnelles qui les entourent mais aussi :

  • – les services de la Ville de Bruxelles qui nous aident volontiers dans notre logistique quotidienne et festive
  • – l’échevinat de l’égalité des chances qui finance chaque année au minimum un projet
  • – Alexandre Bouglione qui nous a pendant de nombreuses années offert les bénéfices d’une soirée…jusqu’à ce que la pandémie stoppe tout notre pays.
  • – « Les Amis du 8ème jour», qui ont au bénéfice de nos associations fait vibrer pendant plusieurs année sous les décibels de jazz ,la maison haute de Boistfort ou encore les avant-premières de cinéma, l’organisation annuelle d’un tournoi de golf en généreuse collaboration avec le Golf de Louvain La Neuve ou encore des spectacles et des représentations théâtrales…

Tous sont acteurs de notre projet et chacun d’eux a fait, à sa manière, grandir notre oeuvre. Elle nous appartient, elle leur appartient et au nom de la société solidaire dans laquelle nous avons décidé de nous inscrire nous en sommes solidairement responsables.

En conduisant la personne porteuse de handicap vers une autonomie responsable. Le 8ème jour est devenu en 20 ans, une association qui compte dans le milieu du handicap car elle a ouvert la réflexion sur une autre façon de vivre sa différence et de s’intégrer dans la société.

Les moments festifs que nous vivons, ne font pas oublier le labeur accompli pendant ces vingt années car nos associations ont progressé au rythme de l’occupation de nos six maisons qui accueillent aujourd’hui trente-huit résidents en habitat accompagné, quinze habitants en centre d’hébergement et 25 participants dans nos deux centres de jour ainsi que sept familles ayant accepté de vivre en solidarité active.

Au fil de ces lignes, il est aisé de comprendre que notre œuvre est encore en chantier et que celui-ci demandera encore, à l’avenir, beaucoup de forces, d’énergie et de solidarité afin de construire ensemble un 8ème jour dans le cœur de chacun.

A travers tous ces projets et actes que nous posons depuis plus de 20 années, nous continuons toujours notre cheminement et menons sans baisser la garde notre combat amical avec les questionnements, les doutes et les réflexions qu’amène une telle expérience.

Je ne peux terminer en évoquant ceux par qui le 8eme jour est né, Huguette Vandeput et son époux Henri Rossi, dit papy qui nous ont quittés il y a un an.

En qualité de visionnaires à l’aube des années 2000, ils avaient imaginé, dans un premier temps un nouveau futur pour Pascal et ses amis et ensuite pour d’autres jeunes adultes porteurs de handicap. Ils jetaient ainsi les bases d’un nouveau concept de vie qui devait briser l’isolement social dans lequel étaient confinées, jusqu’alors, les personnes différentes.

Ma vie a croisé la leur en 2001. Je découvrais Huguette et Papy, un couple qui jetait toutes ses forces dans une jeune association qu’ils venaient de créer avec leur ami Jaco et d’autres parents qui comme eux rêvaient d’un autre destin pour leurs enfants.

Huguette avait un don de persuasion sans pareil et il ne lui a pas fallu plus d’une soirée pour changer ma vie et me convaincre de les accompagner dans leurs combats, leurs doutes mais aussi leurs joies.

Depuis, nous avons cheminé ensemble durant ces vingt années de bonheur et grandi au rythme de nos projets.

Alors, qu’à l’époque, je n’étais pas directement concernée dans ma vie par le handicap, ils m’ont tous les deux appris à mettre de l’autre dans mon regard, m’associant à cet acte créateur qui donnait un véritable sens dynamique à ma vie, mise depuis lors au service de cette noble cause.

Leur enthousiasme empreint de ténacité a motivé notre conseil d’administration mais aussi nos équipes pédagogiques qui grandissaient comme notre projet. Au fil des années ils nous ont appris à rêver toujours plus fort afin d’oser tenter l’impossible.

ET … Après ces vingt années de rêves, de doutes, de joies, de déceptions aussi une seule certitude se dégage chez tous les acteurs du 8eme jour, c’est qu’en embrassant une telle cause on réalise  qu’on ne peut que s’enrichir de la différence de l’autre.

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